lundi 20 avril 2020

Aux confins


Aux confins, l’horizon s’est collé à nos fronts.

Nous voilà en nos murs, cuisine et dépendances, musique de chambre et danses de salon. A la cave, si l’envie d’exotisme nous prend. Aux confins, ça rêve de vide-grenier.

La pendule a fondu. Alors il a fallu reconstruire un cadran, comme un temps d’occasion, une horloge de fortune. Aux confins, la trotteuse reste une garce.

Aux confins comme partout, les écrans, belles usines à trouille, balancent aux sidérés les chiffres et les décomptes, ordonnent le calme et la détente, imposent la créativité, exigent qu’on prenne pour soi le temps que l’on a plus ; on a même pu y lire les mots confifi, confinou, belle chance d’être avec soi, on regarde blasés des virologues intérimaires s’écharper avec des économistes débutants, pendant que ceux qui savent essayent.
Et pourtant, dépités, on  y regarde encore.

Aux confins, c’est rodéo sur mélancolie.

Aux confins, bien sûr, on écoute son corps, qui envoie des signaux qu’on ne sait décrypter. Soudain, ce souffle court : est-ce que c’est uniquement la crainte, contagieuse elle aussi ? Certainement, oui. Et ça va déjà mieux jusqu’à la prochaine fois.

On assure son rôle. On envoie au tableau des élèves distants, on se convainc un peu qu’on est pas inutile.

Aux confins, comme chacun, on remplit son papier pour de rares pas dehors. Alors la fiction est la norme, on croise des masqués dans les rues désertiques, l’extraordinaire est devenu normal, comme pour tout un chacun, aussi mal, aussi bien.

Malgré tout, aux confins, on goûte sa chance de n’être ni sans-toit, ni parmi les entassés, ni petite vertu, ni l’un des prisonniers qui le sont pour de vrai ; aux confins, la plainte est indécence.

C’est aux confins que tu as eu deux ans. Que te restera-t-il de ce nouveau banal qui te devient normal ? Pour ça et pour le reste,

Aux confins, on attend.

mardi 10 avril 2018

Un peu de ce que tu m'as appris (pour l'instant).


Les petites filles naissent dans des buissons de câbles,

Interminablement,

Dans le hasard absurde et dans l’amour total,

En zone stérilisée,

Dans cette main de mère que j’enserre

Pour conjurer la chair meurtrie.



Les petites filles naissent dans la voix d’une sage-femme :

« Eh ben, la cantine est bonne ! L’a de bonnes joues, la petite ! »,

Dans ces poumons que tu gonfles comme des voiles,

Première douleur de vivre, résumée en ton cri.



Les petites filles naissent, Cléo, dans le banal, dans le miracle et dans nos mains.



Les petites filles naissent, Cléo. Les roses viennent après.

          Sais-toi bienvenue ; sais-toi aimée.

samedi 7 avril 2018

Sous mes doigts, le temps.

Je ne te porte pas.
Rien n'inconforte ma chair.
Et l'impatience se dompte.

Alors, sur mes joues, je garde le témoin poilu et broussailleux des jours heureux d'attente.
Friche douce, pour trotteuse à réaction :
Ma main grattouille distraitement les semaines qui passent.

Demain, sans doute, tu seras là,
Pour le coup de rasoir de l'accueil officiel.

D'ici là, ma fille, je fais encore des nœuds, des boucles, des tresses impossibles,
Je mêle l'éphémère avec le ce-qu'il-faut,
Je mêle le pourquoi-pas, avec les n'oublie-pas,
La douceur de ma barbe, substitut de ta peau.

lundi 12 février 2018

Nous reste alors



Pour Guillaume Gimenez, ami - in memoriam




Nous reste la foudre figée de ce rire-là,


Nous reste un banzaï de moins,

Dix bibliothèques de moins,

Un laisse, c’est pour moi de moins,


Nous reste alors des listes qui demeurent ébauchées,

de quoi, de pourquoi,

Nous reste cet oubli que l’on attendra pas 
et qui ne viendra pas,


Nous reste alors à faire du solide accompli,

que tu aurais aimé, et qu’on va essayer.






vendredi 5 mai 2017

Au jardin - Sylvie Pollastri invitée pour les vases communicants de mai

Le premier vendredi du mois ? Écris chez moi, j'écris chez toi.
Voilà le principe des Vases Communicants ( C'est, chaque premier vendredi du mois, un échange de textes, voire d'images ou de sons, entre deux sites/blogs volontaires. Ce sont des rendez-vous qui s’opèrent notamment grâce au groupe Facebook dédié,et au blog qui, mensuellement, regroupe tous les échanges.)- Grand merci à Marie-Noëlle Bertrand qui centralise les opérations et produit les recensions.

Aujourd'hui, c'est avec Sylvie Pollastri que l'échange se produit ; nous avons décidé de parler jardin...





Quand les roses jaillissent au milieu des pierres
Texte et photo : Sylvie Pollastri 

Il y a comme une nostalgie douce à s’arrêter au milieu de l’éphémère, ce jardin comme un murmure, ce jardin comme une évanescence perlée de rosée. Doux plaisir tranquille au cœur de sa fraîcheur fragile. Mais présente. Au point de vouloir s’y perdre. Lentement.
Pas lents qui serpentent de-ci, de-là, frôlant les agapanthes mêlées aux longues graminées avec, au loin, les roses. Pas qui s’égarent dans le foisonnement des formes. Les heures alors ralentissent. Les gestes osent l’impensable en ces temps tendus et gris, caresser des pétales, suivre la forme d’une feuille, toucher le velours d’une oreille d’ours, s’attarder sur la chaleur parfumée des pétales d’un pavot, plonger dans les roses délavés, resurgir auprès d’une aubépine.
Jardin des délices où, enfin, le merveilleux retrouvé de la vie s’étale, s’égaie, s’ébat, se donne à pleines mains sans chercher à rassasier les yeux. Jardin de jeux, où les griffons peuvent enfin jouer au milieu des vignes éternelles annonciatrices de fruits sucrés dans lesquels mordre avec ivresse. Jardin libre de pudeurs et d’interdits, mais qui enseigne la mesure, la musique, le rythme toujours renouvelé de nos vies éperdues.
Jardin de pierres où je lis ma mémoire et pénètre en pensée pour rejoindre ce petit coin de bonheur où faire dormir mon âme

vendredi 7 avril 2017

Sortie d'hibernation, accueil d'Angèle Casanova.

Sortie d'hibernation.
Après quelques mois d'interruption, pour cause d'agrégation et autre somptuosités, L'irrégulier reprend du service. En ouvrant ses portes. À qui ?
À Angèle Casanova, qui a déjà au moins par deux fois posé ses mots et images ici. Pour y poser du texte, depuis devenu recueil ! Alors grande joie et rebienvenue à elle.
Comme le veut la tradition des vases communicants, elle vient ici aujourd'hui poser ses mots, aujourd'hui autour d'une image de Jacques Cauda qui a signé la couverture de son recueil. Chez elle je fais de même, autour des thèmes dégagés par la même image.

Mais au fait ...Vases Communicants ?
C'est, chaque premier vendredi du mois, un échange de textes, voire d'images ou de sons, entre deux sites/blogs volontaires. J'écris chez toi, tu écris chez moi. Ce sont des rendez-vous qui s’opèrent notamment grâce au groupe Facebook dédié,et au blog qui, mensuellement, regroupe tous les échanges.

 

hypothèses de travail
Texte : Angèle Casanova
Image : © Jacques Cauda, Le rêve.
un
elle se demande combien il lui reste de litres de lait à la maison s’il faudra qu’elle aille faire les courses en rentrant du travail elle pense à la réunion d’hier aux dossiers à préparer et puis au livre qu’elle aimerait bien finir ce soir

deux
peut-être qu’il aime le fouet elle a bien envie de se défouler ce soir elle va l’attacher au plumard et voir où ça les mène ça l’occupera elle s’emmerde à mort de toute façon alors autant rigoler un peu

trois
je n’en peux plus ils sont toujours là à me mater à me voler mon corps comment faire pour leur échapper le cacher toujours rester habillée et même au fond du lit garder mon pyjama ne jamais quitter l’enveloppe protectrice de mes vêtements oublier qu’on peut me les déchirer et aller fouiller dessous mon corps oublier les doigts qui cherchent sous la culotte oublier me cacher

vendredi 2 décembre 2016

Une invitée dans la série des Mots Aimants - les vases communicants de décembre

Ce vendredi, j'accueille ici le texte de Rixile pour les Vases Communicants ; nous sommes partis de la série amorcée il y a quelques mois sur ce blog, les mots aimants.
 
      - Vases communicants ?
C'est, chaque premier vendredi du mois, un échange de textes, voire d'images ou de sons, entre deux sites/blogs volontaires. J'écris chez toi, tu écris chez moi.
Ce sont des rendez-vous qui s’opèrent notamment grâce au groupe Facebook dédié,et au blog qui, mensuellement, regroupe tous les échanges.
      - Les mots aimants ?
Ils sont 192 mots aimantés, dans leur boite.
Lorsqu'on les remet dans l'ordre (ou bien qu'on les mélange, question de point de vue), ils forment "Je pense à toi" et "Au soleil", deux Poèmes à Lou de Guillaume Apollinaire.
Ils sont 192 mots aimantés, donc. Un réservoir de messages potentiels, une citerne à la fois profonde et bien réduite. Qu'en faire ?

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Des Mots Aimants #4 - Texte : Rixile




je voudrais être ton poème
au souvenir sans voix
à l'heure d'un ciel
(où) cesse toute blessure

heureuse comme la luzerne au soleil
je sens ma bouche qui éclate
dans mes mains ta nuit
je vois courir mes cheveux

les corps sont lourds comme les étoiles
nous sommes (l') ombre des souvenirs
les sabres font sonner le soir
je quitte ton image et nos soleils gracieux

vendredi 4 novembre 2016

Salle de Réunion : Sylvie Pollastri invitée

Les vases communicants continuent, même à effectifs réduits.
Vases communicants ?
- C'est, chaque premier vendredi du mois, un échange de textes, voire d'images ou de sons, entre deux sites/blogs volontaires. J'écris chez toi, tu écris chez moi.
- Ce sont des rendez-vous qui s’opèrent notamment grâce au groupe Facebook dédié,et au blog qui, mensuellement, regroupe tous les échanges.
 
Ce vendredi, j'accueille donc ici le texte de Sylvie Pollastri. Nous sommes partis d'un thème très simple : Salle de Réunion.

« B…jour… »

Ma voix s’évanouit entre les chaises tandis que je pénètre dans la pièce. Quelqu’un est déjà là. Au bruit de mes pas – j’ai pourtant pris soin de mettre mes chaussures dont la semelle est de caoutchouc – plus que de mon inaudible voix au souffle mourant, il lève légèrement la tête. Regard absent. Visage impassible. Je baisse les yeux, cherche une place impossible et fait presque le tour de la grande table. Fenêtre ou bibliothèque ?

« Vous êtes... », dit-il, comme s’il devait cocher une liste.

J’opte pour la plante verte, m’imagine que je me suis trompé, de jour, d’heure, de lieu, de ville et j’ai déjà tout oublié. La plaque à l’entrée m’avait fait sourire. Dois-je aller le saluer ?

« Jean-Michel Leurat, ench...té… »

Je ne sais si c’est de l’asthme ou le reflux de la mitrale. Ça fait boum dans ma poitrine, crac dans ma tête, bing dans mes jambes. Ou le contraire. Peut-être la fenêtre. L’autre se détend brusquement. Il range les quelques feuillets qu’il consultait et me sourit. À peine, certes. J’ai juste le temps de lire cette mimique si caractéristique dans les traits d’un visage anonyme mais bonhomme. Je m’assois. Entre la plante verte et la fenêtre. J’aurais peut-être dû prendre un café avant. Avant la…

On compte les minutes. Quelques-unes. Pas trop quand même. La porte s’ouvre, se ferme, s’ouvre, se ferme, s’ouvre… pas, voix, bruits de chaises, bruits divers provenant du couloir. On sent qu’ils se connaissent tous, par les gestes, les regards, les mots de connivence. Enfin, il n’y a pas toute cette amicale solidarité que les nombreux visages avenants laisseraient croire. « J’étais au Japon ! Un tout autre monde ! Toute une autre façon d’envisager les relations humaines derrière leur indéfinissable courtoisie. Tout est question d’honneur ! » « Mais c’est vraiment un imbécile ! Il ne comprend jamais ce que je lui dis ! » « Quel plaisir ! » « Cette veste-là, sans nul doute, vous ira ! » « J’attends encore un peu et j’appelle ! » « Non ! Envoie un texto ; tu aviseras ensuite ! » « Le Japon est vraiment merveilleux. Vous savez, ils ne connaissent pas le pêché comme nous ! L’honneur ! L’honneur ! Et la confession publique ! » « Les épaules ne sont-elles pas trop carrées ? » « Toujours pas répondu à mon texto » « Quel imbécile ! » « Il est sans doute occupé ». Tout ce quant-à-soi qui me place hors du jeu, loin, ailleurs, étranger. Personne ne m’adresse la parole. C’est peut-être mieux ainsi. J’ai la tête en coton. Vvvvrrrrrrr…. Tttttrrrrrrr… puis les chaises cessent de faire de la musique.

Puis il prend la parole.

« Bien, tout le monde est là. Nous pouvons commencer. Je vais laisser la parole au chef du service des urgences. Jean-Michel… »

J’ai la tête ailleurs. Bien loin. À la Réunion.

Sylvie Pollastri